6 janvier 2020
Flash Droit Commercial (États-Unis)
Vos Contrats de Ventes à l’Export : loi familière ou loi favorable ?
Il a souvent été démontré que le droit français a tendance à protéger l’acquéreur par rapport au vendeur.
Cela est vrai en B2C, vis-vis du consommateur, mais aussi en B2B, vis-à-vis de l’acquéreur professionnel. Pourtant, on constate que les entreprises françaises qui vendent leurs produits aux États-Unis choisissent souvent de soumettre leurs contrats de vente à la loi française plutôt qu’à la loi étrangère. On peut comprendre ce choix. Il est assez naturel de choisir ce qui semble familier. Mais en tant que vendeur, si la loi française a tendance à protéger les intérêts de votre client, est-il vraiment avantageux de négocier son application ?
Aux États-Unis comme en France, la loi et les juges ont souvent pour mission implicite de protéger la « partie faible ». Consommateurs, locataires, salariés… nombreux sont les cas où la loi prévoit un régime spécial pour éviter les abus de pouvoir de la partie considérée comme dominante. Mais la France, contrairement aux États-Unis, a la spécificité de considérer que l’acquéreur, même professionnel, est une « partie faible » qui mérite de bénéficier d’une telle protection.
Aux États-Unis, en droit de la vente commerciale, aucun avantage n’est accordé à l’acquéreur dans la transaction. Entre professionnels, sauf régime spécial de type franchiseur-franchisé, aucune présomption de déséquilibre de pouvoir n’est reconnue par la loi américaine. Aux États-Unis, la liberté contractuelle est respectée par les juges. En cas de conflit, l’avantage est détenu par celui qui a le mieux négocié les termes de son contrat. On peut donc s’interroger sur le bien-fondé du choix du droit français comme loi applicable aux contrats de vente à des clients situés aux États-Unis.
Prenons l’exemple d’un exportateur français de biens d’équipements. Il a réussi à imposer ses conditions générales de vente (CGV) à son client américain basé au Texas. Ses CGV sont soumises à la loi française et contiennent notamment, de manière classique, les 2 clauses suivantes :
L’impuissance de la clause de réserve de propriété française dans le contexte de la vente internationale :
Comme son nom l’indique, une clause de réserve de propriété permet au vendeur de rester propriétaire du bien vendu jusqu’à ce que le bien soit entièrement payé. En France, vis-à-vis d’un acquéreur local, français, la clause de réserve de propriété est fréquemment utilisée pour se protéger des risques d’impayés. Malheureusement, vis-à-vis d’un acquéreur américain, cette clause ne pourra être mise en œuvre. Pourquoi ?
Si le contrat est soumis au droit interne français, au titre de l’article 3 du Code civil, le juge devra appliquer la règle de conflits de lois dite « lex loci rei sitae » : les biens situés à l’étranger sont soumis à la loi de situation des biens.
Donc, une fois arrivés sur le territoire américain, les équipements vendus par l’exportateur seront soumis au droit de l’état où ils sont stockés. En l’occurrence ici, le droit de l’état du Texas. Or, le Texas, comme les autres états, ne reconnaît pas la validité des clauses de réserve de propriété. Le droit américain utilise un autre mécanisme pour protéger le vendeur des risques d’impayés. Un mécanisme issu du droit des sûretés, qui permet au vendeur de faire enregistrer un gage sur les biens vendus sur un registre public. On parle de « UCC filing ». Cet enregistrement n’est pas automatique. Pour bénéficier de cette protection, le vendeur doit obtenir l’autorisation écrite de son client de procéder à l’enregistrement. S’il n’a pas obtenu cette autorisation dans ses CGV ou dans un autre écrit, et n’a pas fait enregistrer son gage, le vendeur n’aura aucun droit sur le bien impayé. Sa clause française de réserve de propriété ne lui sera d’aucune utilité.
Qu’en est-il de sa clause d’exclusion de garanties ?
L’efficacité limitée des clauses limitatives de responsabilité en droit français :
Il est d’usage d’inclure dans les CGV des clauses qui cherchent à limiter la responsabilité du vendeur ou à exclure certaines garanties. Et c’est ce qu’a fait ici notre exportateur. Imaginons qu’un défaut non apparent se révèle et empêche le fonctionnement de l’équipement, plusieurs années après sa livraison. L’acheteur texan réclame réparation. Pour se défendre, l’exportateur français invoque alors la clause de ses CGV qui limite sa responsabilité et exclut notamment la garantie des vices cachés.
En France, la jurisprudence française fait peser sur le vendeur professionnel une présomption de connaissance des vices de la chose. Le vendeur professionnel est présumé de mauvaise foi. Les clauses d’exclusion de garantie des vices cachés sont en principe inefficaces sauf si la clause fait partie d’une vente conclue entre « professionnels de même spécialité » (Cass, 3e civ., 30 juin 2016, n° 14-28.839).
Malheureusement pour notre exportateur, la notion de « professionnels de même spécialité » est interprétée de façon très restrictive par les juges. Donc, dans notre exemple, à moins que l’exportateur français n’ait vendu une machine à un fabricant américain de machines du même type (ce qui est peu probable), si le contrat est soumis au droit interne français, cette clause sera vraisemblablement écartée par le juge.[1]
Par contraste, comment aurait été interprétée cette clause si les CGV de l’exportateur français avaient été soumises au droit du Texas ?
L’efficacité de principe des clauses limitatives de responsabilité en droit américain :
La liberté contractuelle est sacro-sainte aux États-Unis en matière de vente commerciale. On part du principe que le vendeur et l’acquéreur se trouvent sur un pied d’égalité. Les clauses limitatives de garanties ou de responsabilité y sont donc en principe tout à fait valables, à condition de (i) respecter un certain formalisme (la clause doit être suffisamment apparente, rédigée en lettre majuscules ou en caractère gras) et (ii) inclure 2 ou 3 mots clés imposés par la loi selon le type de garantie à exclure. On peut donc penser que si les CGV de l’exportateur français avaient été rédigées avec soin et soumises au droit du Texas, la clause d’exclusion de garanties aurait pu être invoquée avec succès.
Conclusion et Recommandations :
Souvent, si une entreprise française réussit à imposer l’application du droit français, elle pense avoir obtenu un avantage dans la négociation avec son client américain. Cet avantage est pourtant illusoire. Même s’il est tentant et naturel d’opter pour ce qui semble familier, ce réflexe devrait être remis en question en matière de vente internationale.
[1] Les nouvelles dispositions issues de la réforme du droit français des obligations entérinent cette tendance protectrice (loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats). Par exemple, la nouvelle rédaction de l’article 1170 du code civil prévoit que « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Dans un contrat de vente, le vendeur est débiteur d’une obligation de livrer un produit conforme (c’est son « obligation essentielle »). On peut donc s’attendre à ce que l’efficacité des clauses limitatives de responsabilités demeure limitée sous le régime du nouveau droit français des obligations.
[2] Pour ne pas compliquer l’analyse, nous avons volontairement omis d’évoquer l’application éventuelle de la Convention des Nations Unis sur les Contrats de Vente Internationale de Marchandises. Puisque la France et les États-Unis l’ont ratifiée, les dispositions de la Convention s’appliquent à tout contrat de vente entre une entreprise française et une entreprise américaine, sauf si les parties en ont expressément exclu l’application dans leur contrat. Mais notre analyse n’est pas impactée par son application éventuelle. En effet, la Convention exclut de son champ d’application la question de la validité du contrat et de ses clauses (Article 4 (a)), et la question des effets que le contrat peut avoir sur la propriété des marchandises vendues (Article 4(b)). Par conséquent, les questions de validité d’une clause de réserve de propriété ou d’exclusion de garantie seraient régies par la loi choisie par les parties ou, à défaut, par la loi où se trouve installé le tribunal (i.e., le for) devant lequel l'affaire a été portée.
Flash Droit Commercial (États-Unis)
Vos Contrats de Ventes à l’Export : loi familière ou loi favorable ?
Il a souvent été démontré que le droit français a tendance à protéger l’acquéreur par rapport au vendeur.
Cela est vrai en B2C, vis-vis du consommateur, mais aussi en B2B, vis-à-vis de l’acquéreur professionnel. Pourtant, on constate que les entreprises françaises qui vendent leurs produits aux États-Unis choisissent souvent de soumettre leurs contrats de vente à la loi française plutôt qu’à la loi étrangère. On peut comprendre ce choix. Il est assez naturel de choisir ce qui semble familier. Mais en tant que vendeur, si la loi française a tendance à protéger les intérêts de votre client, est-il vraiment avantageux de négocier son application ?
Aux États-Unis comme en France, la loi et les juges ont souvent pour mission implicite de protéger la « partie faible ». Consommateurs, locataires, salariés… nombreux sont les cas où la loi prévoit un régime spécial pour éviter les abus de pouvoir de la partie considérée comme dominante. Mais la France, contrairement aux États-Unis, a la spécificité de considérer que l’acquéreur, même professionnel, est une « partie faible » qui mérite de bénéficier d’une telle protection.
Aux États-Unis, en droit de la vente commerciale, aucun avantage n’est accordé à l’acquéreur dans la transaction. Entre professionnels, sauf régime spécial de type franchiseur-franchisé, aucune présomption de déséquilibre de pouvoir n’est reconnue par la loi américaine. Aux États-Unis, la liberté contractuelle est respectée par les juges. En cas de conflit, l’avantage est détenu par celui qui a le mieux négocié les termes de son contrat. On peut donc s’interroger sur le bien-fondé du choix du droit français comme loi applicable aux contrats de vente à des clients situés aux États-Unis.
Prenons l’exemple d’un exportateur français de biens d’équipements. Il a réussi à imposer ses conditions générales de vente (CGV) à son client américain basé au Texas. Ses CGV sont soumises à la loi française et contiennent notamment, de manière classique, les 2 clauses suivantes :
- Une clause de réserve de propriété et
- Une clause limitative de responsabilité et d’exclusion de garanties.
L’impuissance de la clause de réserve de propriété française dans le contexte de la vente internationale :
Comme son nom l’indique, une clause de réserve de propriété permet au vendeur de rester propriétaire du bien vendu jusqu’à ce que le bien soit entièrement payé. En France, vis-à-vis d’un acquéreur local, français, la clause de réserve de propriété est fréquemment utilisée pour se protéger des risques d’impayés. Malheureusement, vis-à-vis d’un acquéreur américain, cette clause ne pourra être mise en œuvre. Pourquoi ?
Si le contrat est soumis au droit interne français, au titre de l’article 3 du Code civil, le juge devra appliquer la règle de conflits de lois dite « lex loci rei sitae » : les biens situés à l’étranger sont soumis à la loi de situation des biens.
Donc, une fois arrivés sur le territoire américain, les équipements vendus par l’exportateur seront soumis au droit de l’état où ils sont stockés. En l’occurrence ici, le droit de l’état du Texas. Or, le Texas, comme les autres états, ne reconnaît pas la validité des clauses de réserve de propriété. Le droit américain utilise un autre mécanisme pour protéger le vendeur des risques d’impayés. Un mécanisme issu du droit des sûretés, qui permet au vendeur de faire enregistrer un gage sur les biens vendus sur un registre public. On parle de « UCC filing ». Cet enregistrement n’est pas automatique. Pour bénéficier de cette protection, le vendeur doit obtenir l’autorisation écrite de son client de procéder à l’enregistrement. S’il n’a pas obtenu cette autorisation dans ses CGV ou dans un autre écrit, et n’a pas fait enregistrer son gage, le vendeur n’aura aucun droit sur le bien impayé. Sa clause française de réserve de propriété ne lui sera d’aucune utilité.
Qu’en est-il de sa clause d’exclusion de garanties ?
L’efficacité limitée des clauses limitatives de responsabilité en droit français :
Il est d’usage d’inclure dans les CGV des clauses qui cherchent à limiter la responsabilité du vendeur ou à exclure certaines garanties. Et c’est ce qu’a fait ici notre exportateur. Imaginons qu’un défaut non apparent se révèle et empêche le fonctionnement de l’équipement, plusieurs années après sa livraison. L’acheteur texan réclame réparation. Pour se défendre, l’exportateur français invoque alors la clause de ses CGV qui limite sa responsabilité et exclut notamment la garantie des vices cachés.
En France, la jurisprudence française fait peser sur le vendeur professionnel une présomption de connaissance des vices de la chose. Le vendeur professionnel est présumé de mauvaise foi. Les clauses d’exclusion de garantie des vices cachés sont en principe inefficaces sauf si la clause fait partie d’une vente conclue entre « professionnels de même spécialité » (Cass, 3e civ., 30 juin 2016, n° 14-28.839).
Malheureusement pour notre exportateur, la notion de « professionnels de même spécialité » est interprétée de façon très restrictive par les juges. Donc, dans notre exemple, à moins que l’exportateur français n’ait vendu une machine à un fabricant américain de machines du même type (ce qui est peu probable), si le contrat est soumis au droit interne français, cette clause sera vraisemblablement écartée par le juge.[1]
Par contraste, comment aurait été interprétée cette clause si les CGV de l’exportateur français avaient été soumises au droit du Texas ?
L’efficacité de principe des clauses limitatives de responsabilité en droit américain :
La liberté contractuelle est sacro-sainte aux États-Unis en matière de vente commerciale. On part du principe que le vendeur et l’acquéreur se trouvent sur un pied d’égalité. Les clauses limitatives de garanties ou de responsabilité y sont donc en principe tout à fait valables, à condition de (i) respecter un certain formalisme (la clause doit être suffisamment apparente, rédigée en lettre majuscules ou en caractère gras) et (ii) inclure 2 ou 3 mots clés imposés par la loi selon le type de garantie à exclure. On peut donc penser que si les CGV de l’exportateur français avaient été rédigées avec soin et soumises au droit du Texas, la clause d’exclusion de garanties aurait pu être invoquée avec succès.
Conclusion et Recommandations :
Souvent, si une entreprise française réussit à imposer l’application du droit français, elle pense avoir obtenu un avantage dans la négociation avec son client américain. Cet avantage est pourtant illusoire. Même s’il est tentant et naturel d’opter pour ce qui semble familier, ce réflexe devrait être remis en question en matière de vente internationale.
- Pour un importateur français de produits américains, chercher à imposer l’application de la loi française a du sens en raison du traitement favorable accordé à l’acquéreur.
- Pour un exportateur français qui vend aux États-Unis, en revanche, il est souvent plus avantageux de renoncer à l’application du droit français. Le fait d’utiliser des CGV adaptées au droit de l’état de votre client peut être payant. Les clauses protectrices de vos CGV auront plus de chance d’être appliquées que si elles étaient soumises au droit français.[2]Anne Pansard
[1] Les nouvelles dispositions issues de la réforme du droit français des obligations entérinent cette tendance protectrice (loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats). Par exemple, la nouvelle rédaction de l’article 1170 du code civil prévoit que « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Dans un contrat de vente, le vendeur est débiteur d’une obligation de livrer un produit conforme (c’est son « obligation essentielle »). On peut donc s’attendre à ce que l’efficacité des clauses limitatives de responsabilités demeure limitée sous le régime du nouveau droit français des obligations.
[2] Pour ne pas compliquer l’analyse, nous avons volontairement omis d’évoquer l’application éventuelle de la Convention des Nations Unis sur les Contrats de Vente Internationale de Marchandises. Puisque la France et les États-Unis l’ont ratifiée, les dispositions de la Convention s’appliquent à tout contrat de vente entre une entreprise française et une entreprise américaine, sauf si les parties en ont expressément exclu l’application dans leur contrat. Mais notre analyse n’est pas impactée par son application éventuelle. En effet, la Convention exclut de son champ d’application la question de la validité du contrat et de ses clauses (Article 4 (a)), et la question des effets que le contrat peut avoir sur la propriété des marchandises vendues (Article 4(b)). Par conséquent, les questions de validité d’une clause de réserve de propriété ou d’exclusion de garantie seraient régies par la loi choisie par les parties ou, à défaut, par la loi où se trouve installé le tribunal (i.e., le for) devant lequel l'affaire a été portée.